Kwahéri Maoré (Au-revoir Mayotte)
Décembre 2022 je quitte Mayotte sous la pluie, direction la Métropole via Nairobi . Ce n'est pas sans un pincement au cœur que je vois s’éloigner les lumières de l'aéroport bientôt remplacées par la nuit étoilée au-dessus des énormes cumulonimbus.
C'est mon dernier voyage professionnel en avion.
Tout avait commencé en janvier 2004. Après 10000 kilomètres et un tour de pendule, escales comprises (La Réunion et Madagascar), la passe en S qui donne accès aux eaux limpides du lagon de Mayotte défilait enfin sous les ailes du «B707» un peu fatigué de la compagnie aérienne locale.
En débarquant sur le tarmac surchauffé du vieil aéroport de Mayotte, j’ai découvert une petite île perdue dans le canal du Mozambique.
Dans le hall de l'aérogare j’ai supporté l'écrasante chaleur brassée par quelques ventilateurs poussifs, le brouhaha et l'agitation des voyageurs devant le tapis déversant une multitude de bagages aussi hétéroclites que colorés.
Mon état de voyageur lambda tout juste débarqué à Mayotte n'était pas au bout de ses surprises. Karibou Maoré (1).
A la sortie de l'aéroport des Bouénis (2) en Salouvas (3) multicolores, maquillées avec le «m'zindzano (4) offrent des colliers de fleurs à certains passagers au son des M'biwis (5).
Avant de m'engouffrer dans un taxico hors d'âge j'ai dû me frayer un passage parmi les voyageurs palabrant sans s'occuper de la gêne qu'ils engendrent.
Pour quelques centimes, en un temps record à fond de troisième (la quatrième ayant rendue l'âme depuis longtemps), le taximan, coiffé du traditionnel kofia(6) nous largue à la l’embarcadère de Dzaoudzi. Là, il me faudra attendre une «barge» pour rejoindre Mamoudzou, la «Capitale» de Mayotte.
A Mayotte, les taximen prennent tous les droits et tous les risques, arrêt sur la voie de circulation ou dans les giratoires pour prendre ou débarquer un client, déboîtement sans clignotant ou tout simplement arrêt en catastrophe pour palabrer avec un cousin.
A Mayotte on est jamais seul dans un taxi, ils sont collectifs et tant qu’il y a de la place on charge et on surcharge, bonjour les odeurs et la promiscuité. Pour les taximen, le code de la route n’est qu’une base de discussion , le reste c’est à qui osera s’engager le plus vite possible dans la circulation au détriment des autres véhicules, sous la protection du dieu local.
En métropole on roule sur des routes goudronnées, à Mayotte les routes sont à trous. Si l’on veut préserver les amortisseurs et les pneus de la voiture il faut apprendre à zigzaguer entre les nids de poules, ce qui nous oblige à nous déporter à gauche pour, bien souvent nous retrouver face à un zébu ou une chèvre paressant sur la route sans se soucier du danger qu'ils courent.
Mayotte a la particularité d'être scindée en deux îles. D'un côté, il y a "Petite Terre" avec l'aéroport de Dzaoudzi, de l'autre "Grande Terre" avec Mamoudzou, la préfecture. Les deux terres, la Grande et la Petite, sont séparées par un bras de mer de 2,6 kilomètres. La liaison maritime par barge entre les deux îles est vitale, à tel point que les habitants ont inventé le verbe «Barger». A Paris on prend le métro, à Mayotte on «Barge». Sur la barge où voitures, poids-lourds, scooters et piétons s’entassent, les bouénis squattent les bancs sur les lesquels elles s’allongent pour une petite sieste réparatrice..
Raconter cette île c’est raconter un rêve. Cette île aurait pu être l’île au trésor de Stevenson et de son pirate «Long John Silver». Raconter cette île c’est faire se refléter le soleil sur les eaux limpides du lagon, sur sa terre de latérite rouge et sur ses habitants.
A Mayotte comme partout sous les tropiques, le jour se lève d’un coup. La nuit est effacée en quelques minutes, fondue, dissoute et là, c’est la lumière qui parle.
Vers 18h, quand le soleil se couche sur les îlots du nord, bordés de leurs lagunes de sable blanc l’heure est magique, la lumière est soudain si belle que tout le lagon prend une couleur de feu.
A Mayotte pas besoin de montre, les journées sont rythmées par le chant des Muezzins. Chaque village a au minimum une mosquée.
Mayotte est composée de paysages tropicaux et exotiques où les collines descendent jusque dans les eaux du lagon.
Le Lagon qui encercle Mayotte et une centaine d'îlots est protégé par une double barrière de corail. Avec ses dégradés de bleus et de vert c'est l'un des plus beaux lagons du monde. C'est un joyau qui abrite une faune sous-marine colorée incroyable . Ce lagon aux eaux limpides dans lequel j'ai eu la chance de faire mes plus belles plongées est un milieu de paysages aquatiques uniques .
Mayotte c'est une faune et une flore exceptionnelle. Mayotte c'est aussi ses marchés multicolores tenus uniquement par des Bouénis. Leur découverte est une grande aventure. Nombreux sont les étals de vêtements, de tissus à salouva, de gamelles en tous genres, de petit outillage, d’épices, de bijoux, de fruits et de légumes locaux ou importés des pays voisins.
Sur les marchés, l'hygiène n'est pas toujours au rendez-vous, tout traîne, les bouénies attendent les clients allongées dans leur boutique.
Mayotte c'est aussi des vendeurs des rues qui vendent de tout et n'importe quoi. Ils peuvent même proposer pour 10 € une montre Rolex (fabriquée en Afrique).
A Mayotte comme dans beaucoup de pays tropicaux, on reçoit ce que l’on donne.
Il ne suffit pas de passer quelques semaines ou quelques mois à Mayotte pour connaître ses habitants. Pour ressentir l’âme de Mayotte, il faut marcher par les chemins et par les rues, prendre la «barge» et parler avec ses habitants.
C'est certainement pour cette raison que moi le m'zoungou (7) je me suis rapidement senti bien dans cette petite île hors norme perdue dans l'océan Indien. J'y ai découvert des gens accueillant.
A Mayotte les milieux aquatiques et les zones humides sont malheureusement menacés . Dans la mangrove, sensée préserver la côte de l'érosion et des tempêtes, on trouve tous les détritus produits pas l'Homme. Les mangroves de Mayotte sont malheureusement des décheteries à ciel ouvert.
Mayotte étant française depuis très longtemps, j’ai imaginé en débarquant, qu’elle serait occidentalisée mais en réalité c’est un morceau d’Afrique avec des touches de métropole. La culture musulmano-africano-comorienne est très présente, les coutumes, la religion, les fêtes, les tenues vestimentaires, les différentes langues nous offrent un dépaysement total.
Mayotte, 360 km² est l'une des quatre îles de l’archipel des Comores (Mayotte, Anjouan, Grande Comores et Mohéli). Ces îles ont un passé commun, mais Mayotte a pris un chemin différent en acceptant de devenir territoire français à la fin des années 1970.
La vie étant difficile dans les trois îles ayant choisi l’indépendance, leurs habitants font souvent le choix de tenter l'exil très risqué vers Mayotte sur des Kwasa-kwasa (8). Ils sont des milliers, tous les ans, à tenter la traversée et à périr noyés.
A Mayotte il faisait bon vivre.
Mais tout çà c'était avant;
Avant la départementalisation;
Avant les visites d'hommes politiques de tous bords, chargés de promesses qu'ils ne tiendront jamais;
Avant l'arrivée de plus en plus massive de clandestins venus des Comores, d'Afrique et d'ailleurs espérant trouver un monde meilleur à Mayotte et en France;
Avant l'insécurité chaque jour grandissante et l'incapacité de l'état a enrayer la flambée de violence;
Avant les embouteillage perpétuels;
Avant l'invasion des routes par des milliers de scooters qui se faufilent entre les voitures et les piétons en prenant des risques insensés;
Avant les pénuries d'eau permanentes;
Avant les déchetteries à ciel ouvert.
La République une fois de plus a échoué.
Mayotte est devenue un aspirateur à misère.
J’ai quitté Mayotte, mais je garde dans ma mémoire des paysages aux couleurs incroyables, des plongées fantastiques, des odeurs, des sourires et surtout énormément d’amitiés et de rencontres dans cette petite île perdue abandonnée loin de la métropole.
kukuona karibuni, Inch’allah (9).
(1) Bienvenue à Mayotte
(2) Femmes mahoraises
(3) Habit traditionnel féminin (Tenue de l'élégance à Mayotte).
(4) Maquillage traditionnel
(5) Claves en bambou que les femmes mahoraises entrechoquent en rythme
(6) Bonnet traditionnel brodé par les femmes
(7) Personne à la peau blanche
(8) Bateau de pêche utilisé pour le transport de clandestins
(9) A bientôt si dieu le veut
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